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La mine - Valorisation des charbons

1 - L’histoire des fabrications a partie liée avec celle des techniques et des savoir-faire. Au travers d’elle on a souvent abordé l’analyse des gestes pour saisir, non seulement les compétences qui sont requises et les conditions du travail, mais aussi pour définir les spécificités, les qualités des produits fabriqués. Gérard Gayot nous a montré que ce sont les compétences des tondeurs et la maîtrise de leurs gestes qui font la renommée internationale des draps de Sedan (1). D’autres études se sont attachées à cette question dans la quincaillerie avec les doreurs, dans l’horlogerie avec l’établisseur ou dans l’indiennerie avec le graveur ou le coloriste (2).
Le geste se définit alors à la fois comme un élément de compréhension d’un processus de fabrication qui dépend de techniques et de savoir-faire et comme ce qui conditionne la qualité du produit obtenu. Pour ces produits, les étapes finales de finition, de valorisation sont souvent passées inaperçues dans les études historiques davantage centrées sur les opérations qui sont au cœur de la filière technique. Pourtant, elles contribuent à une grande part de la valeur ajoutée, définissent les emplois des produits et suscitent des gestes, des compétences, des savoir-faire spécifiques qui identifient un personnel qualifié.

2 - L’industrie houillère a en général échappé à un examen attentif de toutes les phases du processus productif. Si les gestes de l’extraction ont été saisis pour suivre les rendements en insistant sur la pénibilité des conditions de travail dans ce milieu extrême du fond, ceux du triage, calibrage et lavage au jour ont souvent été délaissés. Or la fabrication des charbons ne saurait se comprendre sans référence à ces activités de valorisation (3).
En effet, l’extraction fournit un produit brut, mélange de combustible et de stérile non commercialisable qu’il faut traiter et conditionner pour l’adapter aux besoins des marchés. Correctement calibrés, les charbons sont progressivement adaptés aux diverses grilles de chauffe ; convenablement épurés, ils sont rendus cokéfiables et deviennent prisés par les sidérurgistes. C’est en partie sur cette capacité de transformation que repose l’essor de l’usage industriel des combustibles minéraux au cours du XIXe siècle.
Cette valorisation, indispensable pour développer l’usage du combustible, participe à l’amélioration de la bonne gestion des exploitations en permettant la récupération des moindres particules de combustible. Les exploitants ont misé sur cette étape essentielle qui permettait de tirer au mieux partie de leur extraction, car elle conditionne les emplois possibles des charbons et donc, par une création marginale de valeur ajoutée, définit la rentabilité de l’exploitation. Cette étape fondamentale de transformation d’un produit brut s’accompagne de la naissance de procédures et de qualifications spécifiques.
Criblage au carreau du puit des Glénons, 1914L’historiographie minière a minoré cette approche de la qualité des produits en accordant une large place aux travaux du fond (4). De fait, cette analyse est réalisée à l’échelle d’une entreprise qui apparaît la seule pertinente pour mener la réflexion, mais elle ne peut s’inscrire dans une démarche comparative faute de travaux.
Les archives du site houiller de La Machine, dans la Nièvre – un gisement de moyenne importance du Bassin Bourgogne-Nivernais (5) – permettent de comprendre la mise en place de cette phase finale mais déterminante de l’activité houillère. Les contrats de travail précisent les précautions prises pour effectuer le travail, déterminent les soins apportés au produit en définissant ce qui est autorisé ou non, fixent les gestes et les pratiques. Les grilles de rémunérations fournissent une lecture de l’intervention sur le produit avec en contrepartie la reconnaissance sous-jacente des compétences, de l’habilité et parfois de la pénibilité de la tâche. Du côté du marché, les diverses clauses de qualité des contrats de vente stipulent les conditions de valorisation, alors que les mécontentements de la clientèle précisent les manquements.
À ces sources manuscrites, s’ajoutent les documents iconographiques, des mises en scène très significatives si on les analyse avec les réserves et l’esprit critique qui s’imposent. Ces « vrais-faux » instantanés où la pose donne lieu à des compositions filtrent les gestes et les postures, gomment certains aspects du travail. Ce corpus permet de retrouver les étapes de valorisation des charbons à travers l’évolution de leur fabrication à La Machine. Il s’avère très précieux et sans équivalent sur d’autres sites car il reflète l’intégralité des changements techniques intervenus entre 1850 et 1914.

3 - Dans la première moitié du XIXe siècle, la poursuite de l’extraction dans ce gisement très faillé repose sur la capacité des exploitants à épurer une production trop impure. C’est dans ce cadre que la valorisation devient un maillon essentiel de l’activité de la seule houillère nivernaise et que se pose la question des procédures, des moyens et des compétences à mobiliser pour transformer la qualité des charbons. Cet effort permet d’améliorer la réputation des produits machinois, d’étoffer l’offre et de conquérir de nouveaux clients parmi lesquels les sidérurgistes du Creusot.

4 - À travers l’évolution de la valorisation des charbons, on peut repérer les gestes qui, du fond au jour, précisent le soin porté au traitement de l’extraction. En ce sens, il s’agit de réviser l’activité extractive en ciblant l’étude sur ces interventions qui participent à la création de qualités de charbon. Or, progressivement, les opérations de triage-calibrage et de lavage deviennent des maillons plus visibles de la chaîne de fabrication des charbons, avec un personnel et des objectifs de traitement plus clairement identifiés. La mécanisation du dernier tiers du XIXe siècle, l’apparition de la préparation mécanique des houilles nous permettra de saisir le reconditionnement des gestes de la valorisation, phase de transformation devenue indispensable au fonctionnement de la filière.


(1) Gérard Gayot, Les draps de Sedan 1646-1870, Paris, Éditions de l’EHESS/Terres Ardennaises, 1998, p. 116-133.
(2) On pourra se référer à Liliane Hilaire Pérez, L’invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000 ; François Jequier, De la forge à la manufacture horlogère, XVIIIe-XXe siècles : cinq générations d’entrepreneurs de la Vallée de Joux au cœur de la mutation industrielle, Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, 1983 ; Alain Dewerpe, Yves Gaulupeau, La fabrique des prolétaires, les ouvriers de la manufacture d’Oberkampf à Jouy-en-Josas 1760-1815, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1990.
(3) Concernant l’essor de la valorisation des charbons et son importance dans l’essor des consommations industrielles et domestiques ; cf. Nadège Sougy, Les charbons de La Machine, Produits et marchés d’une houillère nivernaise, 1838-1914, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2008.
(4) Pierre Guillaume, La compagnie des mines de la Loire (1846-1854) : essai sur l’apparition de la grande industrie capitaliste en France, Paris, PUF, 1966, p. 80-110. Marcel Gillet, Les charbonnages du Nord de la France au XIXe siècle, Paris/La Haye, Mouton, 1973 ; Alain Leménorel, L’impossible révolution industrielle ? : économie et sociologie minières en Basse-Normandie, 1800-1914, Caen, Annales de Normandie, 1988. Les problèmes de qualités des charbons ont été évoqués dans les stratégies commerciales du Bassin de la Loire par Pierre Guillaume et des charbonnages du Nord par Marcel Gillet. Alain Leménorel a fait des questions des variétés des charbons de Littry un élément explicatif de la non-industrialisation de la région de Basse-Normandie.
(5) Nadège Sougy, Les charbons de la Nièvre, op. cit.
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