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La mine - Roger Tchang, un mineur Chinois

A La Machine, près de 300 Chinois ont travaillé dans les mines de charbon. Venus en France lors de la Grande Guerre, ils ont trimé, tel Roger Tchang. Une saga familiale et une intégration réussie.

Il n'a pas un début d'accent nivernais. Rouler les "r", comme les "l", il laisse ça à sa femme, une vraie fille "de souche", comme elle dit. Lui, Roger, il est pourtant né comme elle, à 45 km de Nevers, dans cet endroit dépeuplé qui s'appelle La Machine. Il s'en souvient, il a même grandi au "numéro 12 de la rue 2". C'est comme ça, à l'époque, qu'on nommait les allées dans cette ancienne cité minière - 7 000 habitants autrefois, 3 300 aujourd'hui. Sa mère était de Bonny-sur-Loire, pas très loin. Mais son père venait de Nankin, et tout le monde sait ici que c'est en Chine.

Un père chinois, c'est rare dans une région de forêts de chênes et de prés de charolaises. Encore plus dans une petite ville créée ex-nihilo, spécialement pour l'extraction du charbon. Une vraie histoire pour le coup, qui est en partie celle de 140 000 autres Chinois, débarqués un peu partout, en France, pendant la Grande Guerre, après avoir été recrutés par les armées française et anglaise alors en manque de main-d'oeuvre. Une histoire mal connue, qui est pourtant celle de la première vague d'immigration chinoise dans l'Hexagone.

Peu de travaux historiques existent sur le sujet. En leur mémoire, il n'y a qu'une petite stèle, dans un coin du jardin Baudricourt, à Paris, inaugurée en 1998. Or leur histoire est aussi celle d'une intégration originale, surtout pour la poignée d'entre eux qui ont atterri à La Machine. Les rares, avec quelques-uns dans le Nord-Pas-de-Calais, à s'être retrouvés à creuser des galeries.

Roger Tchang à l'âge de 84 ansDe ces Chinois "machinois", Roger Tchang est un peu le dernier. Le seul, du moins, à vivre encore sur place, dans ces enfilades de baraques à vendre. Sa maisonnette est comme les patrons paternalistes aimaient à les millimétrer, avec la taille des volets, le jardin en long et la margelle standardisés. Avec ses frères, son père, c'est toute la famille qui a travaillé "au fond". Alors, dans son intérieur rangé, papier peint fleuri, buffet en bois massif, il raconte ses années pas banales dans les mines de charbon.

La saga familiale commence forcément par son père, "un beau Chinois", né en 1897. Son prénom c'était Tson - plus tard, il a changé pour "André". Un jour, à 19 ans, il a été attiré par des affiches qui promettaient "la fortune" en France. Rien n'indiquait que c'était la guerre. Alors fils unique, orphelin de père, maçon de formation, il n'a pas eu d'hésitation. Il a passé une visite médicale. On lui a donné un numéro de matricule. Et après plusieurs mois de bateau, il a débarqué à Marseille, en 1917.

Les contrats étaient précis. Tout était prévu : les doses de thé, de graisse et de sel, 5 francs de salaire par jour, 25 centimes pour les vêtements et les chaussures, autant pour les "frais de maladie" et l'assurance décès. Officiellement, la main-d'oeuvre ne devait pas combattre, elle était à la disposition de l'arrière-front. Mais les tâches étaient ingrates : terrassement des tranchées, déminage. André Tchang, lui, fut d'abord docker, puis manutentionnaire à Châlons-sur-Marne, chargé du nettoyage des champs de bataille et du ramassage des cadavres. "Il n'en parlait jamais", raconte Roger.

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