Close Menu

Industrie - L'industrie minière de la Nièvre

Plongée dans l'industrie minière de la Nièvre

Article paru dans le Journal du Centre en août 2024

Il y a cinquante ans, le 6 août 1974, la houillère de La Machine fermait officiellement et définitivement ses portes (1), après plus de deux siècles d’exploitation intensive. Si le charbon a fait de cette commune une terre de mine, d'autres ressources ont été exploitées dans la Nièvre au fil des siècles. Mineurs, enfant de mineur, guide au puits des Glénons, archiviste ou géologue racontent, commentent, analysent ce qu'il reste du patrimoine lié aux richesses du sous-sol nivernais.

Mémoire de gueules noires

Alain Pages et Jean Perrin, deux anciens mineurs, consultent les archives au Musée de la Mine chaque lundi après-midi. Un rendez-vous au cours duquel surgissent des anecdotes, drôles ou tragiques. Assis autour d’une table, chacun tient devant lui un registre de la mine. Parfois, la lecture s’interrompt. Une tête se dresse à la recherche du regard de l’autre. La conversation s’entame.

"Je suis un vieux Machinois. J’habite toujours dans la maison où je suis né", aime t-il rappeler. Alain Pages, "81 ans bien tassés", a travaillé dix-sept ans à la houillère de La Machine, de 1957 à 1974. “Mon grand-père, mon père, mon frère… Tout le monde était mineur”. Au centre d’apprentissage, il retrouve aussi des anciens camarades de classe.

Jean Perrin et Alain Pages

Au fond de la mine, Alain Pages occupe différents postes. Longtemps, il travaille au foudroyage la nuit et provoque, à l’arrière des fronts de taille, l’effondrement du toit de la couche. Il raconte : "Le travail était plutôt manuel. Il fallait retirer les étançons (des longueurs de bois pour soutenir les bois des galeries)... C'était difficile.” Des étançons de 3m75 et 110 kg. “On devait en faire trente-trois dans la nuit, en marchant à reculons."

Dessin de René Leick Silencieux, Jean Perrin (83 ans) écoute attentivement le récit de celui qu’il appelle encore “monsieur Pages”. Lui, a travaillé à la mine pendant seize ans, de 1957 à 1973. Alors que son père est employé dans les bureaux, il passe un CAP d’électromécanicien à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). Plus tard, il devient responsable du service d’entretien en électromécanique dans les chantiers du fond. "J'ai connu toute l'évolution technique de cette période là".

Évolution technique et pénibilité

En 1957, Jean Perrin est affecté à l’étage 300 du puits des Zagots. "L’exploitation se faisait par tirs de mine pour abattre le charbon. Cela produisait beaucoup de poussière et des fumées d'explosifs chargées de chlore. Quand on était sur le passage des fumées, c’était très difficile à supporter. On en subit les conséquences actuellement". Les poumons, la trachée, les artères se trouvent fragilisés. Je ne suis pas au point de certains mineurs qui ont fait vingt ou trente ans dans un chantier d'abattage... Arrivés à la retraite, ces gens-là avaient énormément de mal pour respirer. Mais j'ai quand même des médicaments."

Si la modernisation vise d’abord à améliorer la productivité, elle améliore également les conditions de travail. "À la fin de l'exploitation, dans les années 1970, l'abattage se faisait avec des haveuses", des fraises qui rabotent le charbon. "Il n’y avait plus que très peu de tirs de mines. Avec le soutènement marchant, il n'y avait plus de problèmes d'étançons à déplacer toutes les nuits". Les haveuses étaient dotées d’un système de pulvérisation d'eau. "Toutes les nuits, le service d'entretien était chargé de nettoyer les circuits qui pouvaient se boucher. À chaque passage d'engins, il y avait des atomiseurs, des arroseurs pour essayer d'abattre les poussières [...] Pour les galeries à creuser en cul-de-sac, il y avait de gros ventilateurs. Autrement, le réseau général aspirait l'air par un puits et le rejetait dans un autre", détaille-t-il.

On était tous des copains

Dans les entrailles du sol, tous se rencontrent. "On se croisait tous, que ce soit à la descente ou à la remontée", se souvient Alain Pages. "On était tous des copains… À part quelques-uns, qui étaient ronchons."
"C’était un métier dur avec des gens rudes, avec des échanges verbaux parfois un peu rudes
", accorde Jean Perrin.

Dessin de René Leick "

De toute façon, dans une mine, on ne peut pas travailler individuellement", reprend Alain Pages. "On est obligé de travailler tous ensemble, surtout à la fin". En 1957, l’équipe de deux ou trois piqueurs abat le charbon en hauteur pour soutenir le toit. Le soir, d’autres piqueurs abattent le charbon au pied de la couche. Les trois foudroyeurs, eux, récupèrent les étançons pour les remettre à l’avant. Chaque jour, le front de taille avance ainsi d’1m20. "Avec la mécanisation, les haveuses puis le soutènement marchant, les mineurs travaillaient tous ensemble au fur et à mesure de l’avancement", explique Jean Perrin.

Toutes les couches étaient différentes. C'était très dangereux.
Quand monsieur Pages foudroyait l'étançon, il pouvait se produire ce qu'on appelle les coups de charge. À ce moment-là, toute la pression du plafond est au maximum. Tous les étançons peuvent coulisser. Ça fait un grand bruit, avec beaucoup de poussière. C'est impressionnant", poursuit Jean Perrin. “Quand le rocher était très dur, en grès massif, il fallait jusqu'à 50 kg de dynamite. Ils explosaient d'un seul coup. Tout tremblait partout. Un jour, j’ai vu un gars pris de panique".

Les saisons défilent comme telles. Si les gueules noires ne perçoivent pas les couleurs de l’hiver, ce dernier ne se fait pas oublier sous terre. "Quand il fait bien froid, ça fait de la glace autour du puits. Quand ça commence à dégeler, la glace ne tient plus. Une fois, on remontait en ascenseur quand les glaces sont tombées. L'ascenseur a fait comme un yoyo. Ça a fait un fracas énorme. On a eu peur ce jour-là. J'ai eu peur deux fois", corrige Alain Pages, "c'est tout". "Quatorze mois de salaire, la paie distribuée en deux fois le 15 et le 27 de chaque mois... C’est quand même le salaire de la peur",souligne Jean Perrin, reprenant le titre du film de Henri-Georges Clouzot (1953).

Partager
© Copyright 2021 - 2024 Admin