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La mine - Roger Tchang, un mineur Chinois

Après avoir été à l'école Schneider, comme ses frères, Roger Tchang a toute sa vie associé mine et ballon rond. Il double ses journées quand il y a match le week-end. A plusieurs reprises présélectionné pour l'équipe de France de football amateur de l'époque, il joue une fois avec Raymond Kopa. Courtisé par des clubs professionnels mais inquiet pour ses vieux jours, il refuse de changer de club sans la garantie d'une exploitation minière à proximité : "Il fallait que j'assure ma retraite, moi !" A La Machine, ce sont des choses que l'on retient.

Roger Tchang et Raymond KopaA force, il s'est taillé une petite notoriété. A Montceau-les-Mines, à la fin des années 1950, une photo noir et blanc le montre fier, posant sur le perron avec les patrons. Lors d'une Coupe de France, un envoyé spécial du journal L'Equipe n'en revient pas : "Dire que ces gueules noires joueront dimanche contre les professionnels de Sochaux, en 8e de finale..." Un des chauffeurs de François Mitterrand aussi, qui avait été un temps gardien de but de La Machine, aimait bien, une fois déposé le président à Château-Chinon, taper un verre, chez lui, la berline garée devant le pavillon.

Aujourd'hui, avec les retours de l'histoire, les vies de Roger Tchang, son père, et toute leur petite communauté passée par là suscitent un intérêt nouveau de la part de la diaspora chinoise immigrée. En 2006, une exposition intitulée "Les Chinois de La Machine" avait été présentée, au Musée de la mine. Ça avait ameuté un car entier de médias chinois. Même le premier secrétaire de l'ambassade de Chine à Paris s'était déplacé.

En banlieue parisienne, Roger Tchang a aussi un frère de quinze ans son cadet, Gérard, qui se passionne pour l'histoire familiale. En 2009, il a été invité à un colloque d'une semaine, en Chine, sur le sort de ces Chinois de la première guerre mondiale. Là-bas, il a retrouvé une poignée de descendants. Tous, comme lui, étaient en quête d'une reconnaissance de l'engagement sans fureur de leurs pères dans la Grande Guerre.

Roger Tchang n'y est pas allé. Il n'aime plus trop quitter son "chez lui". Sa carrière de mineur, il l'a finie comme secrétaire du comité d'entreprise. C'était juste à la fermeture du dernier puits, en 1974. Il laisse croire qu'il n'en regrette rien : "Je n'ai aucune nostalgie." Mais à le suivre dans les ruines des salles de machines, au pied des dalles de béton scellées sur l'entrée des puits, il s'emporte sans cesse : "Tout ça, c'est du patrimoine qui s'en va !"

Aujourd'hui, avec ses "genoux de caoutchouc", il ne peut plus courir. La faute au football, assure-t-il, "pas à la mine". Mais tous les jours, il continue de faire ses six kilomètres à pied, le long de l'étang Grenetier, réserve d'eau autrefois consacrée au lavage des blocs de charbon. "Inarrêtable", déplore son épouse. Têtu. Comme son père qui, "jusqu'à sa mort, a mangé avec des baguettes".

* Aujourd'hui, Roger n'est plus parmi nous. Il s'en est allé rejoindre son père. Il nous a quittés le 3 novembre 2016 à l'âge de 90 ans.

Texte par Elise Vincent, Le journal Le Monde. Publié le 06 janvier 2010

Photo football issue du Journal de Saône-et-Loire du 14 octobre 2019

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