La légende du petit mineur de La Machine

Autrefois, à La Machine, ville de la Nièvre célèbre pour sesmines de charbon aujourd’hui inactives, on croyait à l’existence d’un lutin qui avait élu domicile dans ses souterrains. On le surnommait le Vieux garçon car on l’avait toujours connu âgé et sans épouse. On ne savait ni d’où il venait, ni comment il était arrivé dans la mine, mais on aimait l’idée de l’y rencontrer un jour.

Le petit mineur de La MachineLe soir, quand les ouvriers regagnaient leurs foyers, épuisés par la dure journée de labeur, le fameux Petit Mineur se réveillait afin de prendre leur relève. Comment vivait ce curieux petit bonhomme ? Où se dissimulait-il pour dormir, indifférent au bruit que faisaient les wagonnets ? Dans quel coin reculé de la mine avait-il décidé de demeurer ? Comment mangeait-il ? Beaucoup rêvaient de le débusquer afin de voir enfin quelle apparence il avait.

Il est tout petit et ridé, disaient certains. Il est difforme, avec une grosse bosse dans le dos, murmuraient les autres… Mais en fait, nul ne l’avait jamais croisé, même si tout le monde en rêvait.

La nuit venue, on entendait : « Tatata, tatata ». C’était le cri que poussait le Vieux garçon en faisant rouler les wagons. Parfois, le tapage était immense. Souvent, l’un des ouvriers, effrayés, se levait en plein milieu de la nuit pour aller voir ce qui se passait. Pourtant, quand il se penchait au-dessus du puits, s’apprêtant à agonir d’injures l’avorton, il ne voyait rien. Pas de désordre, pas de trace du Petit Mineur. Le silence, déjà, était revenu.

Cependant, les vieux du village racontaient qu’autrefois, l’adorable lutin avait coutume de « rouler la brouette » en compagnie des gamins du bourg.
A cette époque-là, tout le monde pouvait le voir, disaient-ils. Il n’était pas aussi sauvage qu’aujourd’hui. Il vivait dans le puits Raguené et, tous les dimanches, il fallait lui apporter sa paye à l’intérieur.

Un lundi, deux mineurs se concertèrent afin de la lui voler. Depuis le temps qu’il vit là-dedans sans rien dépenser, il doit en avoir amassé de l’oseille, ce gars-là ! Allons lui voler son trésor ! Il est tellement minuscule qu’il ne pourra rien faire contre nous !Ils se séparèrent en poussant un immense éclat de rire, pressés de voir leur projet aboutir..

Rendez-vous fut pris. A cette époque, il n’existait pas de machines pour remonter les bennes. Des chevaux faisaient tourner un manège et l’on remontait de la mine dans des tonneaux. Le Petit Mineur avait déposé tout son argent à l’intérieur d’un trou pratiqué dans le charbon. Confiant, il était allé dormir. Il aimait bien les habitants de La Machine et c’était un plaisir pour lui de rendre service aux ouvriers, la nuit. Les deux larrons, bien décidés à accomplir leur forfait, donnèrent un pourboire aux charretiers afin que ceux-ci acceptent de les descendre dans la mine. Une fois arrivés à destination, ils n’eurent aucun mal à débusquer l’argent. Ils s’en emparèrent, puis, prenant leurs jambes à leur cou, se préparèrent à remonter.

Alors qu’ils entamaient leur ascension, le Petit Mineur, réveillé en sursaut par le bruit de leurs voix accourut et, menaçant, leur cria en agitant ses poings :
Rendez-moi l’argent que vous m’avez volé, malotrus ! Rendez-moi mon argent ou je vous maudirai ! Vite ! Hurlèrent les deux hommes, affolés, au charretier. Touche les chevaux pour nous remonter plus vite ! Nous sommes perdus !

Le lutin, furieux, attrapa un énorme morceau de bois, qu’il lança dans leur direction. Etrange, une telle force, d’ailleurs, pour un si petit bonhomme…Le bout de bois parvint à défoncer le tonneau, mais les hommes, solidement cramponnés, continuèrent à remonter, l’argent serré contre leur poitrine.
On l’a bien eu, cet idiot, ricanèrent-ils en atteignant le sol, donnant au passage quelques sous pour remercier le charretier.

Alors qu’ils s’éloignaient, ils entendirent la voix du vieux Garçon qui venait du fond du puits. Hommes de peu de foi, proféra-t-il, si jamais vous descendez une fois encore dans la mine, jamais plus vous ne mangerez de pain !
Les deux mineurs malhonnêtes durent aller travailler dans un autre puits. On ne revit plus jamais le Petit Mineur, mais on continua de l’entendre, la nuit, quand il poussait ses wagonnets.

Puis un jour, les mines fermèrent et l’on oublia définitivement son existence.

Cette histoire a été lue 549 fois